FRANCE: Étude : les buralistes articulent le lobby du tabac en France
BY: Comité national contre le tabagisme
Pour les vingt ans de l’entrée en vigueur de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, le CNCT publie un rapport sur le lobbying de l’industrie du tabac, fruit d’un projet de recherche portant sur les années 2000 à 2024. L’étude fait état de l’importance du lobbying de l’industrie du tabac, principalement assuré par l’influence des buralistes, mais également de la forte porosité des décideurs publics à l’égard de la désinformation du secteur tabac.
Le projet de recherche, Formes et Effets du Lobbying de l’Industrie du Tabac et de ses alliés en France (FELITAF), principalement axé sur le lobbying de l’industrie du tabac en France sur la question de la hausse des taxes repose sur une méthodologie mixte. D’abord, une triple étude documentaire a été réalisée, sur l’ensemble des articles de la presse généraliste, de la presse professionnelle, et des questions parlementaires publiées entre 2000 et 2020 et traitant de la question de la fiscalité du tabac. Ensuite, le projet de recherche a mené une étude qualitative à travers 25 entretiens semi-directifs menés auprès de parlementaires. Enfin, deux études quantitatives ont été réalisées : auprès d’un échantillon national représentatif de 2150 Français, et auprès d’un échantillon de 163 responsables politiques, notamment parlementaires. Le projet, soutenu par le Fonds de lutte contre les addictions, est co-porté par le CNCT et l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), et financé par l’Institut national du Cancer (InCa) et l’Institut de recherche en santé publique (IRESP).
Le secteur tabac perçu positivement et comme un interlocuteur légitime par les décideurs Français
Les résultats de l’étude indiquent que la puissance du lobbying du secteur réside essentiellement dans l’influence du réseau des buralistes. En effet, alors que moins d’un décideur sur cinq rapporte avoir une opinion favorable des fabricants de tabac, les répondants font état d’une très bonne opinion des buralistes (69%), équivalente à celle des agences publiques de santé, comme Santé publique France. Lorsqu’ils sont amenés à traiter la question du tabac, les décideurs sont davantage enclins à se tourner vers les buralistes (27%), que vers d’autres acteurs, y compris les ONG de lutte contre le tabagisme (21%) ou les agences publiques de santé (18%). Cette tendance se confirme lorsque les décideurs sont amenés à se pencher sur les questions de fiscalité du tabac. En effet, le secteur tabac est encore perçu par de nombreux décideurs comme un interlocuteur de référence sur un sujet comme les politiques fiscales, qu’il s’agisse des buralistes (32%), ou des fabricants de tabac (15%).
La réglementation sur le lobby du tabac méconnue par les décideurs
La publication du rapport à l’occasion des vingt ans de l’entrée en vigueur de la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac permet au CNCT de rappeler les engagements de la France en matière de lutte contre l’influence de l’industrie du tabac. Ainsi, en ratifiant la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, la France reconnaît « l’existence d’un conflit fondamental et inconciliable entre les intérêts de l’industrie du tabac et ceux de la santé publique ». En conséquence, les pouvoirs publics français sont juridiquement contraints de garantir l’indépendance de ses politiques publiques à l’égard du lobbying de l’industrie du tabac (article 5.3). L’étude quantitative menée auprès des décideurs permet toutefois de montrer que seuls 8% des décideurs ont connaissance de cette disposition.
Une méconnaissance générale à l’égard du tabac
Cette méconnaissance semble s’étendre à l’ensemble de la thématique du tabagisme, et le projet de recherche montre une faible acculturation des décideurs à la littérature scientifique en la matière. Ainsi, près de deux décideurs français sur trois sous-estiment significativement le nombre de décès liés à la consommation de tabac, et moins de la moitié fournissent une estimation correcte de la prévalence tabagique en France. A l’inverse, la majorité des décideurs tendent à surestimer l’ampleur des achats réalisés en dehors du réseau des buralistes.
Fiscalité du tabac : l’influence de la désinformation du secteur sur les croyances des décideurs
Sur la question plus précise des politiques fiscales sur le tabac, le projet de recherche montre également que l’influence de l’industrie du tabac infuse dans les croyances et les perceptions collectives, y compris des décideurs publics. L’étude montre ainsi que ces derniers ont davantage tendance à souscrire aux arguments et à la désinformation de l’industrie du tabac, défavorables aux hausses de taxes, qu’aux arguments scientifiquement établis, faisant état des bénéfices sanitaires, économiques et fiscaux associés aux politiques fiscales. Ainsi, 95% des décideurs publics considèrent que les hausses de taxes entraînent une explosion du commerce illicite. En réalité, l’ampleur des marchés parallèles en France est stable depuis au moins 2014. Par ailleurs, 67% des décideurs publics considèrent que les hausses de taxes pénalisent économiquement les buralistes. Selon l’INSEE, le chiffre d’affaires des buralistes sur la vente de tabac a en réalité augmenté de 100% entre 2015 et 2023. Enfin, moins de la moitié des décideurs considèrent les hausses de taxes comme un outil efficace de lutte contre le tabagisme, alors que l’impact des hausses sur la réduction de la prévalence fait l’objet d’un consensus scientifique établi.
Renforcer la lutte contre l’influence du secteur, fiscalité : les recommandations du CNCT
A la lumière de ces résultats, le CNCT préconise de poursuivre la transposition en droit interne de l’ensemble des directives d’application de l’article 5.3 (limitation des interactions au strict nécessaire et en pleine transparence). Le CNCT recommande également d’adopter une définition élargie de la notion d’industrie du tabac, intégrant à la fois le réseau des buralistes, mais également l’ensemble des organisations et des individus attachés à la promotion des intérêts de l’industrie du tabac. Enfin, le CNCT appelle les pouvoirs publics à adopter une trajectoire fiscale forte sur l’ensemble des produits du tabac.