Tabac : les recettes dépassent-elles les coûts ?

Tabac : les recettes dépassent-elles les coûts ?

Pour enrayer la consommation de cigarettes, un professeur de médecine préconise d’augmenter souvent le prix du paquet. À l’occasion du mois sans tabac, Le Figaro examine le rapport entre les recettes et le coût pour l’État du tabac.

C’était une des promesses phares d’Emmanuel Macron en 2017 en matière de santé publique. Le prix du paquet de cigarettes rouge, le plus vendu en France, a dépassé la barre symbolique de 10 euros en mars 2020. Mais ces augmentations successives du prix du paquet permettent-elles à l’État d’atteindre l’équilibre, d’un point de vue strictement financier, entre recettes et dépenses liées au tabac ?

26 milliards d’euros en 2015

« Le tabac a coûté 26 milliards d’euros de soins à l’État en 2015 alors que les taxes lui ont rapporté 11 milliardsLe paquet devrait être à 45 euros pour compenser tous ses effets. 10 euros, c’est une étape, pas un objectif », détaille le professeur Loïc Josseran, chef du service Épidémiologie santé publique de l’Hôpital Raymond Poincaré à Garches. 26 milliards d’euros, c’est donc le coût économique qui englobe les dépenses de soins (cancers, accidents vasculaires cérébraux autres pathologies). Une « goutte d’eau » quand on le compare au coût social du tabac : 122 milliards d’euros en 2015, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).

Selon Pierre Kopp, avocat au barreau de Paris et professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, qui a réalisé les calculs pour l’OFDT : « Le coût social se décompose entre le coût externe, qui ne correspond pas à un décaissement mais à la valorisation de ce qui est perdu, et celui pour les finances publiques, plus approprié que la notion de coût économique. Contrairement à ce que prétend le ‘lobby du tabac’, ils excèdent largement les gains ». Questionné sur le sujet, un syndicat régional de buralistes n’a pas souhaité se prononcer.

Certes les données sur lesquelles se base l’étude de l’OFDT de 2015 remontent à 2010 et la proportion de fumeurs a depuis diminué (29,7% de fumeurs quotidiens contre 24% en 2019 selon Santé publique France) mais en termes de politique de santé le temps est très long. « Il faut des années pour que les politiques en matière de lutte contre le tabac portent leurs fruits. On paye encore aujourd’hui le tabagisme des années 1970 et 1980. Si le cancer du poumon ralentit chez les hommes, il explose chez les femmes. L’important aujourd’hui c’est que les jeunes ne commencent pas à fumer. Pour cela, on connaît l’arme fatale : l’augmentation du prix du paquet qui passe par une fiscalité à but de santé publique », ajoute le professeur Josseran.

Frapper vite et fort

S’il concède que le gouvernement a mené une politique volontariste en 2017, les efforts s’essoufflent : «Olivier Véran est absent du débat depuis le début de la crise sanitaire sur le tabac. C’est encore plus choquant d’entendre Olivier Dussopt reprendre le verbatim du lobby du tabac pour se positionner contre les hausses de prix [le 29 septembre 2020, le ministre chargé des Comptes publics indiquait sur BFMTV qu’il n’y aurait pas hausse de la fiscalité sur le tabac en 2021 car la cible du prix moyen du paquet à 10 euros avait été atteinte ; le prix est toutefois resté indexé à l’inflation NDLR]». Le médecin l’affirme, la contrebande ne représente que 5% du marché en France.

Le rapport d’information «Évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés», co-rapporté par Eric Woerth et Zivka Park en septembre 2019, fournit plus de détails sur le marché parallèle (achats légaux effectués à l’étranger et comportements illégaux dont contrebande). Il «est par ailleurs bien plus important dans les départements frontaliers, où il représente près de 30% des volumes de tabac consommés. En conséquence, les pertes de recettes fiscales générées par le marché parallèle du tabac sont comprises entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an». La lutte contre la vente à la sauvette est une priorité pour les buralistes.

Le professeur Loïc Josseran recommande de frapper fort et régulièrement au porte-monnaie. Car si les chocs de prix ne sont pas brutaux, les fumeurs intériorisent la hausse. Même son de cloche du côté de Pierre Kopp : «Agnès Buzyn a été proactive. En contrepartie, il faut financer des dispositifs de sevrage et être intransigeant sur les tentatives de contournement de la loi Evin, sur les réseaux sociaux notamment». Sur RTL en septembre 2019, l’ancienne ministre de la Santé affirmait que 1,5 million de Français avaient arrêté de fumer en deux ans.

Du côté des industriels, l’État ne serait pas non plus gagnant. «C’est une perte sèche du point de vue fiscal (hormis les buralistes) car il n’y a plus de site de production en France», conclut le professeur Josseran. Évidemment cette approche économique est partielle. Quelque 75.000 personnes décèdent en France chaque année du tabac, selon l’OFDT.

Source: Le Figaro


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