Uruguay : une étude universitaire analyse les effets sur la consommation d’une majoration des taxes sur le tabac pour le pays

À Montevideo, une étude menée par l’Universidad de la República (Udelar) prévoit qu’une augmentation de 60 % des taxes entre 2025 et 2028, si celles-ci atteignent 75 % du prix de détail d’un paquet de cigarettes, réduirait le tabagisme de 18,65 %, empêcherait environ 49 000 personnes de commencer à fumer et augmenterait les recettes fiscales de 24,35 %, en accord avec les recommandations de l’OMS. Le tabagisme est responsable de 15 % des décès chez les adultes en Uruguay, il représente 16,7 % des dépenses de santé, et cause la mort prématurée de 50 % des fumeurs. Selon l’étude, une hausse des taxes améliorerait les résultats sanitaires tout en accroissant les revenus de l’État, renforçant la position de l’Uruguay en tant que pays avancé dans la lutte contre le tabac.

Une hausse des taxes sur le tabac pour améliorer la santé publique et les finances en Uruguay

Cette recherche, dirigée par Patricia Triunfo et Zuleika Ferre, du Département d’Économie de la Faculté des Sciences Sociales de l’Universidad de la República, repose sur l’analyse de données couvrant la période de 1997 à 2022. Elle confirme que les politiques antitabac mises en œuvre depuis 2010 ont permis une réduction significative de la consommation de tabac en Uruguay. L’élasticité-prix estimée à -0,47 montre que les hausses de prix ont un effet notable sur la diminution de la demande, la hausse de 10 % du prix de vente d’un paquet de cigarettes diminuant la demande de cigarettes de 4,7 %.

Actuellement, Triunfo et Ferre travaillent sur une nouvelle étude à partir des données de l’Institut national de la statistique (INE) afin d’évaluer les différences de consommation selon les niveaux socio-économiques. « Réduire la consommation ne diminue pas les recettes fiscales », a précisé Ferre. Au contraire, malgré cette baisse des ventes estimée à 18,65 %, le rapport indique que, « d’un point de vue fiscal, les recettes de l’Imesi (impôt spécifique sur la consommation en Uruguay) augmenteraient de 28,93 % et les recettes fiscales totales augmenteraient de 24,35 % ». En effet, une hausse des taxes sur le tabac diminuerait les coûts de santé tout en finançant les systèmes de santé publique.

Défis méthodologiques et limites du financement de la recherche

Pour mener cette étude, les chercheuses ont utilisé des données agrégées sur les ventes légales de cigarettes, en y intégrant des variables telles que les prix, les revenus et les mesures de régulation.

Ce travail a été mené en collaboration avec Jeffrey Harris du Massachusetts Institute of Technology (MIT), et a reçu un financement de la Fondation Bloomberg. En 2012, une publication parue dans The Lancet avait déjà analysé la situation comparée de l’Uruguay et de l’Argentine, montrant que les mesures uruguayennes avaient permis une réduction « substantielle et sans précédent » de la consommation, contrairement à l’Argentine qui n’avait adopté de politiques complètes qu’en 2011.

Les mêmes chercheuses soulignent toutefois les défis liés à l’évaluation des politiques publiques. « Évaluer une politique publique est difficile, notamment parce qu’elles sont souvent mises en œuvre de façon simultanée et conjointement », a expliqué Patricia Triunfo.

En outre, elles pointent le manque d’investissement dans la recherche scientifique, malgré un discours favorable à la science. Triunfo explique que l’investissement dans la recherche reste au point mort, ce qui limite la capacité à produire des preuves utiles pour les politiques publiques.

D’autres pistes pour accélérer la lutte antitabac en Uruguay

L’étude montre que le prix est un levier efficace pour réduire la consommation, mais qu’il doit être intégré à une politique globale. Cela inclut notamment la lutte contre la contrebande, la réglementation des nouveaux produits comme les cigarettes électroniques et les dispositifs de tabac chauffé, ainsi que la mise en place d’une fiscalité harmonisée pour éviter les substitutions entre produits. Une attention particulière doit aussi être portée à la perception des risques, notamment chez les jeunes, exposés à des messages trompeurs de l’industrie.

Les chercheuses appellent également à renforcer les mesures fiscales par des politiques de prise en charge du sevrage tabagique mieux financées et plus accessibles, notamment pour les femmes. Elles plaident aussi pour une plus grande transparence dans les décisions politiques, entre santé publique et intérêts économiques. Enfin, elles rappellent que seule une recherche indépendante et bien soutenue peut garantir des politiques justes, face à une industrie puissante qui essaie notamment de redorer son image. L’année dernière, British American Tobacco a par exemple mené une opération de greenwashing en Uruguay en y achetant une exploitation d’eucalyptus, au mépris de l’écosystème local, afin d’acheter des crédits carbones pour compenser les 130 000 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre liées à la fabrication et à la distribution de sa marque de cigarette électronique Vuse.

 Source: Génération Sans Tabac


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