Comble du cynisme, Philip Morris rachète des firmes d’inhalateurs contre l’asthme

Un pied dans chaque monde et une bien cynique stratégie industrielle. Mi-septembre, le géant mondial de la cigarette Philip Morris faisait se lever des yeux au ciel et provoqua l’ire de nombreuses organisations médicales en annonçant la prise de contrôle pour 850 millions d’euros de 75% de la firme britannique Vectura, spécialisée dans les dispositifs d’inhalation médicaux –et en particulier contre l’asthme.

«Vectura, une société qui conçoit des produits destinés à améliorer le quotidien de personnes vivant avec une pathologie pulmonaire, est désormais sous le contrôle de Philip Morris International (PMI), une entreprise qui vend des produits qui cause des dommages aux poumons et provoque des pathologies de longue durée», a ainsi déclaré Kjeld Hansen, patron de l’European Lung Foundation, dans un communiqué officiel et sans fard.

«L’idée que quelqu’un fasse des profits grâce à un produit qui endommage les poumons et grâce à un autre qui traite les maladies pulmonaires est plus qu’inquiétante. Pour quelqu’un vivant avec une telle pathologie, cette vente est bouleversante.»

Il y a effectivement de quoi être surpris, sinon choqué. Les cigarettes restent le cœur juteux du business de la multinationale, qui possède des marques comme Marlboro, L&M, Philip Morris, Chesterfield, Merit ou Benson & Hedges pour ne citer qu’elles. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), fumer tue 8 millions de personnes chaque année dans le monde –et 40% de ces décès sont imputables à des maladies pulmonaires.

Consciente que le tabac vivait, dans sa forme classique de petit tube à filtre et à combustion, ses dernières décennies de gloire financière (le patron de la firme Jacek Olczak réclamant même son interdiction d’ici dix ans), Philip Morris a lancé iQos, dispositif de chauffe du tabac et concurrent direct de la cigarette électronique, présenté comme moins nocif que la clope traditionnelle –une affirmation qui a depuis été largement contestée.

«Poumons-washing» et double lobbying

En parallèle, en pleine crise existentielle ou en pleine stratégie de «poumons-washing», PMI s’agite dans tous les sens pour bifurquer vers tout autre chose: le cigarettier souhaite devenir une compagnie pharmaceutique, et cible particulièrement les entreprises liées à l’inhalation de médicaments.

La veille de l’annonce du rachat de Vectura, elle annonçait vouloir également prendre le contrôle de Fertin Pharma, une entreprise pharmaceutique danoise également spécialisée dans les dispositifs médicamenteux oraux, pour 700 millions d’euros. Un mois plus tôt, c’est OtiTopic, là encore spécialiste de l’inhalation, qui passait sous son giron.

L’objectif de cette stratégie qu’elle nomme «Beyond Nicotine» est de réaliser annuellement un milliard de dollars de chiffre d’affaires grâce à ces multiples branches pharmaceutiques, toutes liées au bien ou mieux-être pulmonaire. Comme le rappelle néanmoins Quartz, pour Philip Morris International, ce petit milliard est une paille: le cigarettier a réalisé 76 milliards de chiffre en 2020 grâce aux produits du bon vieux tabac.

Harold Wimmer, patron de l’American Lung Association, s’est comme son homologue européen montré plus que sceptique quant aux finalités réelles de ces rachats successifs. Il a ainsi exprimé son inquiétude que PMI «utilise les technologies développées par Vectura pour rendre ses produits du tabac plus addictifs», expliquant en outre que ces acquisitions «créent un enchevêtrement de conflits d’intétêts dans le secteur médical des produits respiratoires qui pourrait éroder la confiance du public». Difficile de lui donner tort.

Comme l’ajoute Quartz, ce pied placé dans la porte du secteur pharmaceutique offrira de surcroît au cigarettier une présence et une puissance dans le lobbying médical. Pouvoir ainsi jongler sur deux tableaux radicalement et moralement opposés provoque à l’évidence certaines complexités morales perverses et questionnables.

Source: Korii


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