La responsabilité sociale des cigarettiers, un discours strictement mercantile
Dans un article publié dans la revue Tobacco Control, des chercheurs font état de la stratégie des cigarettiers en matière de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Le papier montre que le discours de l’industrie du tabac s’articule autour de plusieurs pôles : la valorisation de l’aspect business des fabricants, la valorisation de leur engagement en matière de santé et de société, en matière d’environnement, et de leur capacité d’innovation et de transformation[1].
Présenter les fabricants comme des entreprises modèles pour les employés et investisseurs
L’industrie du tabac capitalise d’abord sur l’ « excellence en business », à commencer par la question de la culture de l’entreprise. Les fabricants se positionnent ainsi comme des employeurs attractifs, promettant des carrières réussies et épanouissantes, tout en garantissant des avantages dans l’environnement de travail qu’ils proposent, décrit comme « inclusif », « innovant », ou « flexible ». L’industrie se présente également comme un investissement fiable et à fort niveau de rendement. Ces performances économiques sont associées à une gouvernance de qualité, permettant un développement de l’entreprise sur le long terme. Enfin, cette « excellence en business » se traduit par le fait que l’industrie du tabac met l’accent sur la notion de durabilité, présentée comme intégrée dans les performances économiques et commerciales.
L’industrie du tabac comme acteur de santé
Un grand thème mobilisé par l’industrie du tabac est celui relatif à la responsabilité sociale. Dans son discours, l’industrie se présente comme un acteur soucieux de la santé publique, de celle de ses consommateurs et de ses employés. L’investissement massif dans les nouveaux produits du tabac, vendus comme des outils de « réduction des risques », renforce cette tendance de l’industrie du tabac à s’emparer de la thématique sanitaire. Les fabricants instrumentalisent par ailleurs certaines causes, comme le travail des enfants, pour développer une communication visant à les dépeindre comme des acteurs protégeant les plus vulnérables. Enfin, l’industrie du tabac se présente comme un champion de la diversité et de l’inclusion, et comme un défenseur des minorités, qu’elles soient par exemple ethniques ou sexuelles.
Les cigarettiers mobilisés pour l’environnement et contre le changement climatique
La question environnementale est également au centre de la stratégie discursive de l’industrie du tabac. Les fabricants construisent un narratif dans lequel ils sont des parties-prenantes actives de la lutte contre le changement climatique. Cela passe notamment par la mise en scène de leur « engament à réduire [leur] empreinte carbone », et l’ensemble des actions entreprises en vue de protéger les ressources naturelles. Ce discours va même plus loin, en faisant des industriels des acteurs avant-gardistes, mettant volontairement des politiques « ambitieuses » et « agressives » de lutte contre le réchauffement climatique.
Une capacité d’innovation et une nouvelle gamme de nouveaux produits
Enfin, le discours de l’industrie du tabac s’articule autour de la thématique de la transformation. Les cigarettiers se positionnent en effet comme des investisseurs « proactifs » dans la recherche scientifique et dans l’innovation. De la même manière, cette tendance est renforcée par la stratégie de l’industrie du tabac de capitaliser sur les nouveaux produits du tabac et de la nicotine. Cette rhétorique sur la transformation est également une manière de chercher à mettre en scène une prise de distance par rapport aux scandales sanitaires des dernières décennies, laissant croire que ces pratiques appartiennent à un passé révolu.
Un discours des cigarettiers essentiellement mercantile
Toutefois, l’ensemble de ce discours portant sur la responsabilité sociale des fabricants de tabac est diamétralement opposé aux dégâts humains, sanitaires, environnementaux, sociaux et économiques, engendrés par la nature même de leur activité. Chaque année, le tabagisme est à l’origine de huit millions de décès à travers le monde. Ces pratiques de responsabilité sociale des entreprises (RSE), apparentée à un discours publicitaire, est contraire à la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, qui incite les Parties à « interdire les contributions des sociétés de l’industrie du tabac à toute autre entité pour des « motifs socialement responsables » ». Ces pratiques visent à améliorer l’image passablement écornée des cigarettiers auprès des consommateurs, mais également des investisseurs et des décideurs publics. La renormalisation de l’industrie du tabac fait peser une menace sanitaire et environnementale de premier ordre.
Source: Génération sans tabac