Danemark : À qui la cigarette électronique profite-t-elle ?

En Europe, l’idée avancée à un moment consistait à n’autoriser la cigarette électronique que si elle recevait un agrément au titre de médicament. Les choses n’ont toutefois pas évolué dans cette direction. Un lobby gigantesque œuvre en effet en coulisse afin d’influencer les dirigeants européens, mais aussi les décideurs politiques et les administrations belges.

Une carte blanche de Suzanne Gabriels, experte en prévention du tabagisme pour la Fondation contre le Cancer.

Depuis le 1er octobre, au Danemark, les fabricants de cigarettes électroniques doivent proposer leurs produits dans des emballages neutres. Le Danemark est le premier pays de l’Union européenne à imposer une réglementation aussi stricte en ce qui concerne l’emballage des cigarettes électroniques.

Le 1er octobre également, une nouvelle réglementation relative à la cigarette électronique est entrée en vigueur en Australie. Quiconque veut vapoter doit désormais présenter une prescription médicale pour acheter des cigarettes électroniques à la nicotine et des flacons de recharge. Pour quelles raisons l’Australie a-t-elle pris cette décision ?

  • À l’heure actuelle, les preuves de l’efficacité potentielle du sevrage tabagique avec cigarette électronique sont mitigées.
  • La consultation obligatoire chez le médecin est une étape intermédiaire qui donne au fumeur l’occasion de recevoir des conseils, indépendamment de tout intérêt commercial.
  • Le ministère de la Santé publique peut ainsi déterminer les cigarettes électroniques que les fournisseurs de produits médicaux sont autorisés à proposer.

La cigarette électronique reste un « unapproved medical good » (dispositif médical non approuvé), alors que d’aucuns auraient préféré une interdiction totale. L’industrie du tabac se livre bien sûr à un intense lobbying pour faire barrage à cette idée. Des documents ont ainsi révélé que le géant du tabac Philip Morris International (PMI) a financé indirectement l’Australian Retailers Association (ARA) afin de faire pression pour légaliser la cigarette électronique et contrer les projets visant à l’interdire totalement en Australie.

En août 2020, le nouveau président de l’ARA est entré en fonction et a mis fin aux flux financiers émanant de PMI, qui avaient été approuvés par son prédécesseur. Ce signal clair illustre la volonté du monde des affaires australien de se distancier du « big tobacco ». La déclaration du nouveau président à ce propos était d’ailleurs sans équivoque : « Nous ne pensons pas que défendre les intérêts de la cigarette électronique soit dans l’intérêt du secteur de la vente au détail. »

Le rôle des grandes compagnies du tabac

En Europe, l’idée avancée à un moment consistait à n’autoriser la cigarette électronique que si elle recevait un agrément au titre de médicament. Les choses n’ont toutefois pas évolué dans cette direction. Lors de la révision précédente de la directive européenne sur les produits du tabac, il a été décidé d’autoriser la cigarette électronique comme un produit de consommation courante. Certes, avec certaines règles générales européennes a suivre, mais avec la liberté des États membres de donner leur propre interprétation aux règles non définies par l’EU.

Cette directive européenne sur les produits du tabac doit de nouveau être révisée. Un lobby gigantesque œuvre en coulisse – mais le sommet de l’iceberg est bel et bien visible – afin d’influencer les dirigeants européens, mais aussi les décideurs politiques et les administrations belges. Lorsque la précédente directive sur les produits du tabac est entrée en vigueur en 2014, on pouvait encore espérer que la cigarette électronique ait un effet net positif pour la santé publique – elle était alors considérée comme une technologie disruptive, essentiellement distribuée par des petits fabricants indépendants. Sept ans plus tard, force est de constater que les grandes compagnies du tabac occupent le terrain du marché de la cigarette électronique et biaisent totalement le débat .

Les entreprises du tabac veulent obtenir des règles souples, non seulement pour la cigarette électronique, mais aussi pour d’autres nouveaux produits à base de nicotine comme le tabac chauffé ou les sachets de nicotine (nicotine pouches). Autre enjeu encore plus important : à travers ce débat, elles veulent jeter le discrédit sur l’OMS et sa Convention-cadre pour la lutte antitabac, d’une part, et convaincre les politiques de changer radicalement de cap en prônant la « réduction des risques » (harm reduction) comme un mantra, d’autre part. Soulignons tout de même au passage que la méthadone, un médicament utilisé pour « réduire les risques » chez les toxicomanes, n’est pas présentée de manière bien visible comme un produit de consommation courante dans les magasins !

La Fondation contre le Cancer considère que nos décideurs politiques devraient trouver un compromis équilibré entre l’adoption de mesures destinées à protéger les jeunes contre les nouveaux produits à base de nicotine disponibles sur le marché et l’information s’adressant aux fumeurs pour faire de la cigarette électronique un moyen d’aide potentiel à l’arrêt tabagique. Nous voudrions que ce dernier point soit pris en charge ou géré par les instances publiques et certainement pas laissé entre les mains des fabricants. Ceux-ci veillent surtout à défendre leurs intérêts commerciaux et ont clairement l’ambition de gagner des parts de marché dans le segment des nouveaux produits à base de nicotine, mais aussi de poursuivre leur croissance dans le segment des cigarettes classiques. Voilà un magnifique exemple de greenwashing, avec des multinationales du tabac qui veulent se faire passer pour plus socialement responsables qu’elles ne le sont réellement. Des entreprises du tabac qui se soucient soudainement de la santé publique !? Espérons que nos ministres ne se laisseront pas berner par cette “jolie fable” et qu’ils resteront vigilants : malgré un discours séduisant, la réalité du business juteux du tabac reste qu’il est basé sur la dépendance des consommateurs, et qu’il a bien l’intention de préserver cette addiction.

Source: La Libre


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