La recherche indépendante, alliée de la lutte antitabac en Afrique

La recherche indépendante, alliée de la lutte antitabac en Afrique

Une revue exhaustive de la littérature scientifique consacrée à la lutte contre le tabagisme sur le continent africain durant 22 ans permet d’identifier les thèmes abordés et de pointer de nouvelles pistes à explorer. Ces publications scientifiques sont essentielles pour appuyer les politiques de lutte contre le tabagisme.

Bien que la prévalence tabagique demeure historiquement basse en Afrique (11,4 % dans l’ensemble en 2015, contre 24,4 % dans le reste du monde), ce continent a connu une progression des volumes de vente de cigarettes de 52 % entre 1980 et 2016. Estimée à 8,4 % en 2020, cette prévalence tabagique masque cependant une progression attendue du nombre de fumeurs, sous l’effet de la croissance démographique des pays africains.

L’étude de l’évolution de cette prévalence tabagique a longtemps dominé la recherche scientifique portant sur le tabac et ses produits en Afrique, au détriment d’autres thématiques. Afin de détailler les thèmes réellement abordés, une équipe de chercheurs a conduit une revue de la littérature scientifique couvrant l’ensemble des recherches sur le tabac sur ce continent, sur une période de 22 ans[1].

Augmentation des publications sur le tabac en Afrique

Les chercheurs ont repéré 818 articles scientifiques et médicaux sur le thème du tabac dans les pays africains, publiés entre le 1er janvier 1996 et le 15 août 2018. De 16 articles en 1996 à 71 en 2017, ces publications ont connu une forte progression depuis 2007, 67 % des articles ayant été publiés après cette date. L’augmentation de la prévalence tabagique et des actions conduites par l’industrie du tabac depuis les années 2000 expliquerait le développement de cet intérêt scientifique.

Les 54 pays africains étaient cités dans au moins deux des articles collectés, mais la plupart des études (82 %) se concentraient sur un seul pays. Les études quantitatives (91 %) et les analyses transversales (81 %) dominaient nettement les autres types d’études – au détriment des études qualitatives et économiques, qui permettent de mieux expliquer les comportements et les usages. 91 % des articles collectés étaient rédigés en anglais et 9 % l’étaient en français.

Dans cette revue de la littérature, les chercheurs ont identifié tous les auteurs des articles, ils ont classé les pays où était affecté leur centre de recherche et ont effectué des corrélations entre les auteurs et les pays. Ils ont ainsi établi une cartographie des réseaux de collaborations entre chercheurs africains, permettant d’évaluer l’importance relative de chaque pays dans ce réseau Cette analyse fait apparaître que quatre pays (Afrique du Sud, Nigeria, Egypte et Tunisie) concentrent les deux tiers (65 %) des recherches. Elle met aussi en évidence que trois autres pays (Cameroun, Ouganda, Sénégal) jouent également un rôle de connexion important entre chercheurs de pays africains. Par ailleurs, dans les publications impliquant des auteurs non-africains, les auteurs africains apparaissent plus souvent en première signature des articles portant sur le tabac, en comparaison des articles portant sur les maladies infectieuses.

Une concentration des recherches sur les usages de tabac

La grande majorité des sujets abordés dans ces publications concernaient les usages de tabac : 53 % portaient sur la consommation de tabac, 33 % sur les potentiels déterminants de ces usages et 24 % sur les connaissances et les croyances relatives au tabagisme. Si 27 % des articles étudiaient les conséquences du tabagisme, seuls 5 % portaient sur l’arrêt du tabac et 3 % sur les interventions de prévention. Le thème de la culture du tabac n’était traité que dans 1,7 % des articles, alors que la production de feuilles de tabac représente un pan important de nombreuses économies africaines[2], Zimbabwe et Malawi en tête. Cette revue de la littérature n’a toutefois pas inclus le thème de la « maladie du tabac vert », l’une des conséquences de la culture du tabac.

Cette polarisation de la recherche africaine sur les usages de tabac se fait, selon les auteurs de l’étude, au détriment d’autres thèmes qui pourraient faire progresser la lutte contre le tabagisme, comme le commerce illicite, l’aide à l’arrêt du tabac ou le rôle de frein au développement économique joué par le tabac. Elle pose aussi la question du choix des thèmes de recherche, de leur financement et de la pérennité de ce financement, dont les sources sont trop peu variées. Les auteurs suggèrent donc de mieux investir les huit thèmes de recherche identifiés par le Centre for Tobacco Control in Africa (CTCA) : profils d’usage du tabac ; conséquences (y compris économiques) de l’usage ; populations à risques ; contexte socioculturel de l’usage ; mise en œuvre des politiques antitabac ; industrie du tabac ; production de tabac et cultures alternatives ; économie du tabac et de la lutte antitabac.

La recherche, fondement de la lutte contre le tabagisme

Des 54 pays africains, 47 ont ratifié la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), mais la mise en œuvre des mesures qu’elle contient reste très incomplète sur le continent. La recherche scientifique indépendante est ici essentielle en ce qu’elle  permet d’appuyer les politiques de lutte contre le tabagisme, ainsi que de contrer les arguments des études financées par les industriels du tabac. Le thème du commerce illicite fait ainsi depuis de nombreuses années l’objet d’un intense lobbying de l’industrie du tabac auprès des dirigeants africains. Le renforcement de la recherche indépendante, incluant davantage d’investissements et de perspectives de carrière pour les chercheurs africains, apparaît donc comme une des conditions du succès de la lutte antitabac en Afrique.

Source: Génération Sans Tabac

[1] Twesten JE, Stecher C, Arinaitwe J, Parascandola M. Tobacco control research on the African continent: a 22-year literature review and network analysis. Tob Control Epub ahead of print: 19 April 2023. doi:10.1136/ tc-2022-057760

[2] Status of tobacco production and trade in Africa. Geneva: World Health Organization; 2021.


Donate

$