En Afrique, la lutte antitabac progresse, sans freiner sa consommation
Ce 31 mai, le monde entier commémore la journée internationale sans tabac.
En instituant cette journée, les Nations Unies ont voulu prendre le temps une fois l’an pour « souligner les effets négatifs de la production et de la consommation de tabac sur la santé, la société, l’économie et l’environnement ».
Et cette année, la priorité mondiale c’est l’environnement. D’où le thème « Le tabac : une menace pour notre environnement ».
Ce thème vise d’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « à mettre en évidence l’impact environnemental de l’ensemble du cycle du tabac, depuis la culture, la production et la distribution, jusqu’aux déchets toxiques qu’il génère ».
Il est choisi à juste titre, selon Léonce Sessou, spécialiste du tabac et directeur exécutif de l’Alliance pour le Contrôle du Tabac en Afrique (ACTA), un réseau de plus de 120 organisations de la société civile issues de 39 pays africains, puisque, affirme-t-il, « de la culture à la consommation, le tabac détruit gravement l’environnement en Afrique ».
Interrogé par l’Agence Anadolu, il soutient que, non seulement, le tabac menace la réalisation de l’objectif de développement durable-ODD3 qui met l’accent sur la santé et bien-être, il menace également « le potentiel de l’Afrique à réaliser l’ODD 14 (relatif à la vie sous l’eau) et l’ODD 15 (relatif à la vie sur terre) par ses impacts sur l’environnement ».
— Le Tabac a une conséquence désastreuse sur l’environnement
« Les impacts environnementaux liés à la culture du tabac se manifestent notamment par l’utilisation excessive de l’eau, qui est une ressource rare sur la majeure partie du continent, par la déforestation à grande échelle et par la contamination de l’air et de l’eau », précise d’ailleurs l’OMS.
Malheureusement, en 2022, 35 ans après la première journée mondiale anti-tabac, force est de constater que la production de la feuille de tabac augmente, plutôt, sur le continent.
Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique a affirmé dans une déclaration publiée ce 30 mai 2022, à la veille de la journée mondiale anti-tabac que « l’Afrique a connu ces dernières années une augmentation de la production de feuilles de tabac, atteignant désormais 12 % de la production sur le plan international ».
En 2018, cette part africaine était de 11,4 % de la production mondiale de 6,3 millions de tonnes, soit 722 187 tonnes.
En outre, selon les chiffres actuels, 80% des 1,3 milliard de fumeurs du monde vivent dans des pays à revenu faible ou intermédiaire (en Afrique notamment). De même, la charge des maladies et des décès liés au tabac est la plus lourde.
Le tabac tue jusqu’à la moitié de ceux qui en consomment d’après l’OMS. Il tue dans le monde plus de 8 millions de personnes chaque année, dont environ 1,2 million des non-fumeurs involontairement exposés à la fumée. Et plus de 80% des décès liés au tabac, sont observés dans les pays aux revenus faibles ou intermédiaires.
— Trop de jeunes consommes du Tabac
Malgré ces chiffres alarmants, force est de constater que de plus en plus de jeunes s’adonnent à la consommation du tabac sous diverses formes en Afrique.
« Un adolescent africain sur 10 consomme du tabac » affirme l’OMS.
Ils sont attirés, indique l’organe onusien par « les nouveaux produits apparus ces dernières années » à l’instar des inhalateurs électroniques de nicotine et les produits du tabac.
« Des nouvelles modes » par lesquelles explique Léonce Sessou, les jeunes africains sont restés « la cible privilégiée des compagnies de production de tabac ».
« C’est devenu de la mode à Lomé, de voir des jeunes en petits groupes dans les coins de rues, fumer par exemple de la chicha, exposant ainsi leur entourage aux conséquences du tabac » témoigne au micro de l’Agence Anadolu, Linus Kokou Gbodono, Chargé de Programme de l’ONG Vie Libre et Positive. Une ONG qui mène depuis plus de vingt ans au Togo, la lutte contre le tabagiste, précise-t-il, dans les ghettos.
« Fumer la chicha, c’est 50 à 200 bouffées pendant 40 à 60 minutes. Et la densité du monoxyde de carbone est de 15 à 50 cigarettes. Même pour le goudron, on va de 27 jusqu’à 102 cigarettes. Déjà, dans l’enquête, nous avons eu à faire à Ouagadougou, on sait qu’il y a l’hépatite C, il y a un risque réel pour la tuberculose, et il y a les autres maladies liées au tabac, les cancers et autres maladies respiratoires et cardio-vasculaires. », rappelle le docteur Georges Ouédraogo cité par RFI dans une de ses publications. Il est le coordonnateur de l’Unité de sevrage tabagique et maitre de conférences en pneumologie au CHU Yalgado Ouedraogo de Ouagadougou.
— La lutte anti-tabac progresse mais … Attention à l’explosion à l’horizon 2025
La situation est telle, et pourtant, reconnait Léonce Sessou, la lutte anti-tabac sur le continent a vraiment « progressé ces dernières années ».
Et pour preuve, sur les 44 pays de la Région africaine qui ont ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac, au moins 24 « ont instauré une interdiction de fumer dans les lieux publics », et 35 ont instauré « une interdiction de toute publicité en faveur du tabac ainsi que de toute promotion et de tout parrainage ».
« Au Togo, comme dans plusieurs pays d’Afrique, Ce qu’il y a de positif, c’est que les panneaux publicitaires et le sponsoring des activités sportives par des compagnies de production de tabacs ont disparu » note Linus Kokou Gbodono.
Tout compte fait, et quel que soit la situation, il importe de reconnaitre que l’Afrique, au plan mondial, se distingue par sa population jeune et un taux de tabagisme faible estimé en 2022 à 21 % chez les hommes.
Dans un rapport publié en 2017, dans lequel l’OMS estimait à 77 millions le nombre de fumeurs en Afrique, elle s’inquiétait que « d’ici à 2025, ces chiffres augmenteront de près de 40% par rapport à 2010 ».
Si, effectivement rien n’est fait d’ici 2025, a renchéri Sessou, le Boom ne pourra qu’être constaté.
— Les approches de solutions
C’est pourquoi il préconise que cette journée mondiale sans tabac « soit l’occasion pour tous les Africains de se rassembler et de revendiquer leur droit à un environnement sain ».
En commençant par exiger que « les multinationales de production du tabac soient prises pour responsables des problèmes environnementaux que l’on rencontre aujourd’hui, et qu’elles payent le prix nécessaire pour leur réparation ».
Envisager de les fermer, peut bien en être ce prix d’après lui.
« Il faut cesser de considérer ces entreprises comme contributrices à nos économies. Elles ne peuvent pas être le problème et faire partie de la solution. Ces firmes ne font que détruire notre maison à nous tous qui est l’environnement. Les pertes sur tous les plans, sont évaluées à des milliards de dollars par an » a martelé Sessou.
Gbodono appelle, de son côté, à plus de sensibilisation et plus de moyens pour inverser la courbe.
« Et quand je parle de sensibilisation, j’entends qu’elle soit permanente sur le terrain. En travaillant avec toutes les couches sociales. Cela demande des moyens. Nos Etats ne doivent pas démissionner sur ce sujet. C’est un cri d’alarme que nous lançons. Le bien-être social passe par là aussi », a-t-il indiqué.
Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique appelle pour sa part, à l’occasion de cette Journée mondiale sans tabac, les gouvernements africains à imposer « des taxes environnementales sur le tabac dans toutes les chaînes de valeur et d’approvisionnement, notamment la production, le traitement, la distribution, la vente, la consommation et la gestion des déchets ».
« Pour les pays producteurs de tabac, j’engage pleinement le soutien de l’OMS pour aider les agriculteurs à passer à d’autres cultures », a soutenu Dre Matshidiso Moeti.
Source: AA