Côte d’Ivoire: Le tabac, ce tueur silencieux et appauvrissant
Plante herbacée (solanacée) dont plusieurs espèces sont cultivées comme ornementales et l’espèce principale pour ses feuilles riches en nicotine et constituant le tabac. Ces feuilles, séchées et préparées pour fumer, priser, chiquer ou pour fabriquer des cigares, des cigarettes.
Le tabac est un produit psychotrope manufacturé élaboré à partir de feuilles séchées de plantes de tabac commun (Nicotiana tabacum), une espèce originaire d’Amérique appartenant au genre botanique Nicotiana.
L’usage du tabac s’est largement répandu dans le monde entier à la suite de la découverte de l’Amérique. Sa commercialisation est promue par l’industrie du tabac (monopole d’État dans certains pays) et soumise à des taxes qui varient fortement selon les pays.
Le tabac génère une forte dépendance et sa consommation est responsable de près de six millions de décès par an dans le monde dont 600 000 sont des non-fumeurs exposés à la fumée (tabagisme passif). De nombreuses maladies sont liées au tabagisme (maladies cardiovasculaires et cancers, entre autres). Le tabac, ce tueur silencieux et appauvrissant…
L’OMS lance une campagne mondiale
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment lancé une campagne mondiale d’un an pour la Journée mondiale sans tabac 2021, « S’engager à arrêter ». Par diverses initiatives et solutions numériques, cette campagne vise à soutenir, dans le monde entier, 100 millions de personnes qui tentent de renoncer au tabac. Elle contribuera à l’instauration d’environnements plus sains, propices à un arrêt du tabagisme, par les moyens suivants : en plaidant pour des politiques strictes visant l’arrêt du tabac, en promouvant l’élargissement de l’accès à des services de sevrage, en faisant connaître les tactiques de l’industrie du tabac, en permettant aux fumeurs de réussir à arrêter de fumer, grâce aux initiatives « Gagner à arrêter ».
La pandémie de COVID-19 a poussé des millions de consommateurs de tabac à vouloir arrêter. Mais dire adieu au tabac est difficile, surtout avec le stress social et économique supplémentaire causé par la pandémie.
Dans le monde, quelque 780 millions de personnes disent vouloir arrêter de fumer, mais seulement 30 % d’entre elles ont accès aux outils qui peuvent les aider à surmonter leur dépendance physique et mentale au tabac. En collaboration avec ses partenaires, l’OMS va fournir aux fumeurs les outils et les ressources dont ils ont besoin pour réussir à arrêter.
« Le tabac est une cause majeure de décès, de maladie et d’appauvrissement partout dans le monde. L’épidémie du tabagisme est l’une des plus graves menaces n’ayant jamais pesé sur la santé publique mondiale et cette épidémie fait plus de huit millions de mort chaque année dans le monde et plus de sept millions d’entre ces morts, sont des consommateurs de tabac, d’anciens consommateurs et environ 1.200.000 non-fumeurs involontairement exposés à la fumée du tabac », explique le représentant pays de l’OMS en Côte d’Ivoire, Jean Marie Vianney Yaméogo.
La Côte d’Ivoire renforce son dispositif légal de lutte anti-tabac
L’Etat de Côte d’Ivoire a adopté en juillet 2019, une loi anti-tabac pour renforcer la lutte contre le tabagisme. L’exécutif prends ainsi des dispositions coercitives pour lutter contre le tabagisme face à la cigarette de contrebande. En adoptant ce dispositif, l’Etat veut lutter contre la consommation du tabac et les produits dérivés, ce qui n’était pas le cas avec les dispositions antérieures.
La taxation du tabac en Côte d’Ivoire est de 43%, en dessous du seuil fixé par la norme communautaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui indique une imposition des droits d’accises allant de 50% à 150%.
L’Etat ivoirien a déjà pris des dispositions interdisant de fumer dans les lieux publics et veut soutenir les campagnes de sensibilisation à l’attention des jeunes, ce qui devrait à terme réduire les coûts sanitaires liés à la consommation du tabac qui grève le budget alloué à la santé.
Au plan sanitaire, le ministère ivoirien de la Santé et de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle note 5 000 décès annuels dus à la consommation du tabac et des produits dérivés avec une prise en charge des patients tabagiques qui « coûterait à l’Etat près de 28 milliards de FCFA par an ».
La cause principale de la forte consommation du tabac est l’ignorance des populations des dangers du tabac. C’est pourquoi une lutte anti-tabac a été engagée avec la star mondiale du reggae Alpha Blondy, ancien fumeur, qui s’est totalement investi dans la campagne.
Les données sur l’implantation et l’exploitation des produits du tabac en Côte d’Ivoire, en 2014, montrent que « le solde commercial est déficitaire de 38,784 milliards Fcfa ». Et, au niveau des emplois, seulement quelques centaines d’emplois directs sont générés par les trois principales firmes du tabac.
En 1960, la Côte d’Ivoire a permis, en vue de son développement, l’implantation de l’industrie du tabac, un secteur pourvoyeur de ressources et d’emplois. Mais face au tabac, reconnu comme une menace pour la santé des populations et pour l’économie nationale, l’Etat opte pour la bonne santé de ses citoyens.
Dans sa déclaration du 31 mai 2021 à l’occasion de la journée mondiale sans tabac, le ministre de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, Pierre N’Gou Dimba a relevé qu’en Côte d’Ivoire, le tabagisme chez les jeunes prend de l’ampleur depuis quelques temps.
« Face à cette situation, le gouvernement est à pied d’œuvre pour apporter les solutions susceptibles d’inverser la tendance, à travers la mise en œuvre de la Convention Cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Ainsi, des actes notables ont été posés parmi lesquels, l’adoption et la promulgation de la loi relative à la lutte antitabac, l’organisation des campagnes de sensibilisation de masse visant prioritairement les jeunes », indique-t-il.
« Il faut ajouter à ses actions préventives, la promotion du sevrage tabagique qui s’est concrétisée à travers, l’élaboration des directives pour la prise en charge des personnes dépendantes au tabac, la mise en service au sein du CHU de Cocody, d’une unité de sevrage tabagique qui est l’actuel centre de référence, le renforcement de capacités en matière de sevrage tabagique, de près de 300 agents de santé issus de toutes les régions sanitaires ».
Un appel à la vigilance
Pour le ministre, la vigilance doit être de mise car les efforts consentis par le gouvernement risquent d’être sapés par l’industrie du tabac dont la nouvelle politique commerciale fait de la jeunesse une cible de choix. « En effet, de nouveaux produits ont fait leur apparition et sont vantés pour leur prétendue innocuité », relève-t-il.
« C’est le cas de la pipe à eau plus connue ici sous le nom de chicha. Ce produit aussi dangereux sinon plus néfaste que la cigarette, suscite depuis peu, un vif intérêt chez certains jeunes qui ignorent ou sous-estiment ses effets nocifs. J’aimerais les avertir face aux risques auxquels ils s’exposent, en leur faisant noter qu’une séance de chicha équivaut à fumer 20 voire 30 cigarettes. C’est ensemble que nous devons faire face à ces nouveaux défis. J’en appelle au civisme de nos concitoyens pour une application rigoureuse de la loi anti-tabac », lance Pierre Dimba.
« Le contrôle de l’épidémie tabagique passe par l’intensification de la sensibilisation des jeunes pour qu’ils évitent le piège de la première consommation. Je les exhorte à la vigilance face à la manipulation. Enfin, je recommande aux fumeurs de faire un effort pour arrêter ou à défaut, consulter le centre de santé le plus proche pour bénéficier d’une aide au sevrage (…) », conclut le ministre de la Santé.
Le tabac impacte négativement la santé humaine
Les recherches menées sur la consommation du tabac indiquent clairement que, le tabac à des effets néfastes sur le corps humain. « La consommation du tabac peut donner toutes sortes de maladie à partir du moment où, le tabac affaibli le système immunitaire qui est l’armée du corps humain. A partir de ce moment, lorsque vous atteignez un certain nombre de cigarette ou un certain taux selon votre capacité à supporter, vous êtes exposé à toutes sortes de maladies pulmonaires, dermatologiques, virales et tout », fait savoir l’infirmier d’Etat, en service au CHU de Treichville, Kouassi Louis.
La directrice du Centre national d’oncologie médicale et de radiothérapie Alassane Ouattara du CHU de Cocody, Pr Judith Didi-Kouko Coulibaly, assure que le tabac constitue la cause majeure de nombreux type de cancer. « Très souvent on pense que, les cancers liés au tabac sont ceux du poumon ou de la gorge. Aujourd’hui, le tabac est associé au cancer de la vessie, au cancer du pancréas, au cancer du sein, le tabac est associé au cancer du col de l’utérus. Vous voyez que le nombre de cancer associé au tabac ne fait qu’augmenter, ne fait que progresser et ça reste un véritable fléau, l’influence du tabac dans la santé des personnes en général », déplore-t-elle.
Dans la même dynamique, le directeur de l’Institut de cardiologie d’Abidjan, Pr Euloge Kramoh Kouadio, explique que les conséquences du tabac sont de plusieurs ordres. « Les conséquences se font par le biais de produits qui sont dans la cigarette qu’on appelle la nicotine, le monoxyde de carbone. Sur le cœur ces produits vont entrainer le fait que le cœur va battre plus vite. Un individu normal quand son cœur bat, il ne le sens pas mais dès lors qu’on sent le cœur battre, soit c’est parce qu’il y a un dérèglement du rythme normal de battement du cœur ou il y a une accélération de ce rythme-là », explique-t-il.
« Donc lorsqu’on fume une cigarette, le rythme cardiaque va s’accélérer. Mais il y a en plus que, les artères deviennent étroites. Les artères c’est là où circule le sang. Ces artères vont se rétrécir. Par leur rétrécissement et aussi par le fait que les battements soient accélérés, tous ces paramètres mis ensemble vont faire que la pression artérielle va s’élever. Couramment on dit tension. Donc cela fait qu’on va avoir la tension juste après avoir consommé la cigarette. La tabagisme chronique va alors exposer à l’hypertension artérielle. C’est les conséquences directes », ajoute le cardiologue.
« L’autre conséquence sur l’artère elle-même, il y a ce que nous on appelle le spasme, qui est quand l’artère se comprime. Elle se rétrécie de façon brutale sans qu’elle ne soit malade. On peut donc avoir des spasmes sur les artères et quand c’est les artères du cœur, cela va donner de la douleur. Parce que, le cœur lui-même qui pompe tout le sang, pour tous les organes de l’organisme humain, le cœur a lui aussi besoin de sang. Donc après la cigarette, il y a des artères du cœur qui peuvent se boucher brutalement et cela peut alors aboutir à une crise cardiaque qu’on appelle syndrome coronarien aigu. Donc la crise cardiaque peut déboucher directement et rapidement sur la mort », assure-t-il.
Pr Kramoh explique qu’il y a un autre mécanisme qui est plus lent qu’on appelle l’athérosclérose : des dépôts qui vont se faire dans l’artère pour l’encrasser, pour boucher la lumière de l’artère mais de façon progressive et cette athérosclérose va concerner toutes les artères de l’organisme. « Quand je dis toutes, ce n’est pas que les artères du cœur, il y a aussi les artères qui vont dans le cerveau, les artères qui vont dans les membres inférieurs. Je vais justement effrayer un peu les hommes pour qu’ils se rendent compte de ce qu’ils se font eux-mêmes du mal en fumant », lance-t-il.
« Les artères de nos parties génitales aussi sont concernées. Quand on arrive à avoir une dysfonction érectile, quand ça ne se lève pas bien, le tabac peut provoquer cela aussi. Puisque le mécanisme d’érection de l’homme, c’est un afflux de sang dans son organe. Donc quand les artères sont bouchées, le sang ne peut pas bien irriguer cet organe. Donc il ne peut pas avoir son érection désirée. Donc en fumant régulièrement vous vous exposez à de l’impuissance sexuelle. On s’expose aussi à des artères des membres inférieurs qui vont se boucher et qui vont entrainer ce qu’on appelle l’arthropathie chronique oblitérant des membres inférieurs et une mycose ulcération des pieds jusqu’à ce que on vous coupe le pied, on vous ampute le pied parce qu’il n’y a plus de vascularisation de la partie terminale du pied. Le pied pourri et on est obligé de vous couper le pied parce que simplement vous fumer de la cigarette. Et pareil pour le cerveau. Un accident vasculaire cérébral parce que, on a fumé de la cigarette », exprime le professeur.
« Pour le cœur, j’avais parlé de spasme où l’artère se contractait pour empêcher le sang de passer. Mais là aussi, les dépôts de graisse bouchaient l’artère du cœur pour créer aussi des crises cardiaques de façon aigue ou bien encore par un mécanisme qu’on appelle la thrombose, des caillots qui vont se former dans les artères du cœur pour boucher les artères du cœur et créer la crise cardiaque », poursuit le spécialiste.
« Il y a des choses plus sournoises, qu’on appelle la myocardiopathie systémique, qui est le fait que, le cœur ne recevant pas beaucoup de sang et de façon prolongée, il en souffre et à terme, il devient paresseux. Il ne pompe plus bien et on est essoufflé au moindre effort. Nous, par nos moyens diagnostiques, on réussit à établir le diagnostic et alors il faut donner des médicaments pour accompagner avec des ordonnances qui peuvent monter jusqu’à 150.000 FCFA par mois. Tout cela parce qu’on a acheté sa maladie, puisque on a acheté la cigarette », déplore-t-il.
Source: AIP