Les sachets de nicotine réintroduits illégalement au Kenya malgré leur interdiction en 2020
Les pochettes de nicotine Lyft, introduites en 2019 et interdites en 2020, ont depuis été réintroduites sans autorisation au Kenya sous la marque Velo (du fabricant British American Tobacco). Cet exemple est caractéristique du mépris de l’industrie du tabac pour les législations et la santé publique, tout en prétextant réduire les risques sanitaires du tabagisme.
Les pouches sont des pochettes contenant de la nicotine free-base (extraite du tabac et purifiée), qui se placent entre la gencive et la lèvre, à l’instar des snus suédois. Ces produits, commercialisés depuis quelques années dans certains pays et déclinés en plusieurs arômes, sont présentés par les industriels du tabac comme des « alternatives » au tabac fumé, mais leur efficacité en termes d’outils de sevrage reste encore à démontrer.
Introduites en juillet 2019 sur le marché kenyan, les pouches Lyft, produites par British American Tobacco (BAT), ont rapidement rencontré un certain succès auprès des jeunes, suite à leur intense promotion sur les réseaux sociaux. Leur enregistrement par le Pharmacy and Poisons Board a cependant été déclaré illégal en octobre 2020 par le ministère de la Santé, qui a estimé que la présence de nicotine extraite du tabac dans ces produits relevait du Tobacco Control Act, en application depuis 2007.
Un contournement de l’interdiction des pouches au Kenya
Le rapport d’une étude sur les nouveaux produits du tabac, conduite par le Consumer Information Network (CIN), la Kenya Tobacco Control Alliance (KETCA) et l’International Institute for Legislative Affairs (ILLA), avec le soutien de Stopping Tobacco Organizations and Products (STOP), a montré que BAT a enfreint cette interdiction en commercialisant à nouveau ses pouches, cette fois-ci sous la marque Velo. Cette étude s’appuie sur une série d’entretiens semi-directifs et sur l’étude des documents scientifiques et administratifs disponibles sur le sujet.
Ce rapport confirme la tendance chez les industriels du tabac à avancer des arguments non vérifiés, comme celui d’une aide au sevrage, et de fausses allégations, notamment pour ce qui concerne l’innocuité déclarée des produits et leurs moindres conséquences sur la santé en comparaison d’autres produits du tabac – une technique traditionnelle chez les cigarettiers.
Primauté des intérêts commerciaux sur la santé publique
Un exemple manifeste de ces manipulations par l’industrie du tabac s’est vérifié au Kenya au début de la pandémie de COVID-19. Dès les premiers temps de confinement, BAT-Kenya a versé une somme de 10,6 millions de shillings kenyans[1] au fonds dédié à la COVID-19 mis en place par le gouvernement. Quelques semaines plus tard, en avril 2020, les produits du tabac étaient déclarés par le ministère de l’Industrialisation, du commerce et du développement des entreprises comme étant des produits essentiels. Fort de cette position, BAT a approché en septembre 2020 la Kenya Revenue Authority (KRA), afin d’obtenir une exemption de droits d’accises pour ses pouches durant deux ans, peu de temps avant que ces produits ne soit interdits par le ministère de la Santé[2].
Cet exemple illustre pleinement les pratiques de l’industrie du tabac : afin de commercialiser des produits censés être bénéfiques à la santé, BAT-Kenya a fait pression sur un gouvernement pour continuer à vendre ses produits de tabac fumé, largement reconnus comme nocifs. BAT a par ailleurs obtenu que ses produits du tabac soient maintenus sur le marché durant la pandémie, alors qu’ils peuvent faciliter l’infection à la COVID-19 et entraîner de graves complications pour cette pathologie. L’industrie du tabac a également utilisé cette pandémie pour consolider ses marchés et étendre ses méthodes d’influence.
Cette contradiction entre les intérêts privés et la santé publique s’additionne de plusieurs enfreintes à la législation du pays (contournement des obligations légales de déclaration, réintroduction illicite sur le marché, tentative d’échapper aux taxes en vigueur). Elle souligne également les oppositions de perception du bien commun entre différents ministères d’une nation, dans ce cas présent entre celui de la Santé et celui de l’Industrialisation et du commerce. Elle montre enfin que l’introduction des nouveaux produits du tabac et de la nicotine a non seulement pour objet de maintenir des dividendes élevés pour les multinationales, mais que ces produits leur servent aussi à perpétuer la vente des produits du tabac. Autant de raisons qui justifient une étanchéité complète des politiques publiques vis-à-vis des ingérences de l’industrie du tabac, comme le recommande l’article 5.3 de la Convention-cadre de l’OMS pour la lute antitabac (CCLAT).
Source: Génération Sans Tabac