Intensification du lobby de l’industrie du tabac au niveau mondial
Pour sa quatrième édition, l’Indice mondial de l’interférence de l’industrie du tabac a intégré dix nouveaux pays dans son analyse. Si 29 pays ont obtenu un score plus favorable, 43 ont vu leur note se dégrader et 8 n’ont connu aucun changement. Ceci témoignerait d’une recrudescence globale des pressions et du lobby exercés par l’industrie du tabac. Cette situation pourrait en grande partie être contrée par une application de l’article 5.3 de la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), lequel oblige les pays à protéger leurs politiques publiques de cette interférence.
L’interférence de l’industrie du tabac fait référence à un vaste ensemble de tactiques et de stratégies utilisées directement ou indirectement par l’industrie du tabac pour influencer les politiques publiques, contrer les efforts de la lutte antitabac et toute mesure allant à l’encontre de ses intérêts financiers. L’article 5.3 du traité de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Convention cadre pour la lutte antitabac (CCLAT), pose le principe d’une obligation générale pour les pays parties de protéger leurs politiques publiques de cette ingérence et des directives d’application pratiques ont été adoptées à cette fin.
Depuis 2019, l’Indice mondial de l’interférence de l’industrie du tabac évalue la mise en œuvre de ces différentes dispositions et établit une notation des pays. Initié en 2014 au niveau régional par la Southeast Asia Tobacco Control Alliance (SEATCA), cet indice s’appuie sur les rapports de la société civile signalant et documentant ces interférences mais également les dispositions adoptées par les pouvoirs publics pour s’en protéger. L’Indice mondial est publié par le Centre mondial pour la bonne gouvernance dans la lutte antitabac (GGTC). 80 pays avaient été analysés dans l’édition de 2021, ils sont dix de plus dans celle de 2023[1].
Davantage de pays subissent les interférences de l’industrie du tabac
Dans le classement de l’édition 2023, 43 pays ont accusé une dégradation de leur notation, 29 pays l’ont améliorée et 8 ne marquent pas de changement. Plus le score d’un pays est élevé, plus ce pays est ouvert aux interférences de l’industrie et moins sa notation est bonne. L’indice évalue notamment le niveau de mise en œuvre des recommandations pratiques de l’article 5.3 de la CCLAT, en analysant le degré d’implication de l’industrie dans les instances de décision, les textes établis, leur participation éventuelle à des événements publics, ou inversement la participation d’élus à des événements organisés par les fabricants. A cela s’ajoutent les éventuels avantages dont peuvent bénéficier les acteurs du secteur tabac, en particulier sur le plan fiscal, etc. Cette évaluation ne se limite pas aux acteurs de santé, elle englobe l’ensemble des pouvoirs publics concernés y compris au niveau local. Les règles de transparence mises en place au niveau des acteurs publics de même que celles imposées aux acteurs du secteur tabac sont également étudiées, de même que les politiques relatives à la déclaration et la gestion des conflits d’intérêts.
Si tous les pays étudiés ont fait face à des interférences de l’industrie du tabac depuis 2021, l’augmentation des pays dont la notation s’est dégradée semble indiquer une intensification de celles-ci. Les actions de lobbying visant à favoriser l’implantation des produits électroniques (vapotage, tabac chauffé) et à masquer l’impact environnemental des produits du tabac et de la nicotine ont plus particulièrement contribué à cette dégradation globale.
Parmi les pays les plus soumis aux interférences de l’industrie, se trouve en tête la République Dominicaine, qui obtient le score maximum de 100, sur une base de 100. La Suisse est placée en deuxième moins bonne position, soit 89 sur 90, pour avoir contribué à une campagne d’écoblanchiment et manqué de transparence dans les rencontres avec l’industrie du tabac[2]. Le Japon, l’Indonésie et la Géorgie suivent ensuite, pour les relations étroites entretenues avec l’industrie du tabac. Des ambassadeurs du Japon ont notamment influé en faveur de Japan Tobacco International (JTI) en Ethiopie, au Bangladesh, en Tanzanie et au Cambodge.
Un classement qui ne reflète qu’une partie du lobby de l’industrie
En première position des pays les moins influencés par l’industrie du tabac, figure le sultanat du Brunei, suivi par la Nouvelle-Zélande. La France occupe une bonne position dans ce classement, puisqu’elle partage avec les Pays-Bas la troisième place des pays où cette industrie a le moins de prise. Viennent ensuite le Botswana, qui a intégré l’article 5.3 de la CCLAT dans sa prochaine loi antitabac, et l’Ethiopie, qui a déployé plusieurs mesures anti-lobbying.
L’une des limites de cette évaluation des politiques publiques engagées est de s’en tenir aux mesures adoptées, sans pour autant vérifier qu’elles sont bien appliquées et suivies d’effet. D’autre part, l’influence des tierces parties n’étant pas prise en compte dans cet indice, l’obtention d’un bon score ne rend pas toujours compte de la réalité du poids de l’industrie du tabac dans les politiques publiques.
L’article 5.3 de la CCLAT pour protéger les politiques antitabac
« L’industrie du tabac s’emploie à saboter les efforts déployés par les gouvernements pour renforcer la lutte antitabac », a déclaré Mary Assunta, principale auteure du rapport[3]. « Ce rapport confirme que personne ne peut se permettre l’inaction ; les gouvernements ont les moyens de mettre un terme à l’ingérence de l’industrie », a-t-elle poursuivi. Afin de mieux protéger les politiques publiques de santé, elle suggère notamment de s’appuyer sur l’article 5.3 de la CCLAT.
Pour limiter ces interférences, des recommandations sont émises en conclusion du rapport :
- Impliquer tous les niveaux de décision publique concernés dans la lutte antitabac.
- Mettre en œuvre un code de conduite ou des orientations pour créer une barrière de protection.
- Lorsque ces relations sont strictement nécessaires, exiger une plus grande transparence des autorités amenées à avoir des relations avec des représentants de l’industrie du tabac.
- Refuser tout accord non contraignant avec l’industrie du tabac.
- Cesser d’accorder des avantages à l’industrie du tabac.
- Exclure les investissements publics dans le secteur du tabac.
- Cesser de participer aux activités caritatives parrainées par l’industrie du tabac.
- Interdire les contributions de l’industrie du tabac, y compris aux campagnes politiques.
- Interdire et dénormaliser les activités dites de responsabilité sociale des entreprises (RSE) de l’industrie du tabac.
Source: Génération Sans Tabac