Commission européenne : un conflit d’intérêts entre un haut fonctionnaire et l’industrie du tabac
L’eurodéputée écologiste Michèle Rivasi a écrit une lettre ouverte afin de dénoncer les pratiques de « portes tournantes » entre les instances de l’Union européenne et l’industrie du tabac. En cause : un haut fonctionnaire de la Commission européenne, en lien avec une entreprise clé pour l’industrie du tabac, se retrouvant peu après directeur des affaires réglementaires de cette même société.
La lettre ouverte, publiée sur le site internet de l’eurodéputée, s’adresse à la Médiatrice de l’Union européenne Emily O’Reilly, afin que celle-ci enquête sur ce « cas très problématique de conflit d’intérêt »[1].
Le sélectionneur embauché par l’entreprise sélectionnée
Selon Michèle Rivasi, un ancien haut fonctionnaire de la Direction Générale de la Santé de la Commission européenne, Jan Hoffmann, était en charge de l’élaboration du système de sélection de l’acteur retenu par l’Union européenne sur la question de la traçabilité, notamment des produits du tabac. Jan Hoffmann était également en charge de l’évaluation de l’efficacité de ce prestataire. Quelques mois seulement après le départ du haut fonctionnaire de la DG Santé, celui-ci a été embauché par ce même prestataire, Dentsu, en qualité de directeur des affaires réglementaires.
Un acteur de la traçabilité lié à l’industrie du tabac
Au-delà des pratiques de « portes tournantes » (revolving doors) que soulève cette embauche du fonctionnaire auprès du prestataire sélectionné, les activités de ce dernier posent la question de l’influence de l’industrie du tabac dans la décision publique européenne. En effet, il apparaît que la société Dentsu est liée directement et indirectement à l’industrie du tabac. D’une part, Dentsu a racheté l’entreprise Blue-Infinity, spécialisée dans la technologie numérique et étroitement associée à l’industrie du tabac. D’autre part, la société, dans son versant communication, compte également parmi ses client le fabricant Japan Tobacco International. Les liens évidents entre Dentsu et les cigarettiers, comme le passage du haut fonctionnaire de la Commission européenne à la société de traçabilité, posent la question de l’indépendance de la décision publique à l’égard de l’influence de l’industrie du tabac.
Cette situation est d’autant plus problématique que l’Union européenne a affirmé que le système qu’elle mettait en place était conforme au protocole de l’OMS de lutte contre le commerce illicite des produits du tabac. Ainsi, les critères d’indépendance juridique mis en place par l’Union européenne ne semblent pas être suffisamment efficaces.
L’industrie du tabac impliquée dans les marchés parallèles, légaux comme illégaux
L’attribution problématique de la traçabilité à un acteur étroitement lié à l’industrie du tabac peut également questionner au regard du caractère essentiel que représente ce sujet pour les cigarettiers. En effet, l’industrie du tabac est impliquée dans l’alimentation des marchés parallèles légaux, à travers le sur-approvisionnement délibéré de marchés comme celui du Luxembourg, en réalité destiné aux fumeurs frontaliers français. Mais l’industrie du tabac est également impliquée dans la facilitation et l’organisation du commerce illicite mondial, y compris dans des zones de conflits, comme en Afrique de l’Ouest. C’est précisément pour cette raison que le Protocole de l’Organisation mondiale de la santé pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, ratifié par la France et l’Union européenne, oblige les Parties à la mise en place d’un système de suivi et de traçabilité rigoureusement indépendant de l’industrie du tabac.
Source: Génération Sans tabac