France: « L’augmentation du prix du tabac a un effet quasi arithmétique sur la consommation »

France: « L’augmentation du prix du tabac a un effet quasi arithmétique sur la consommation »

INTERVIEW. Le professeur Amine Benyamina, spécialiste de l’addictologie, commente la décision du gouvernement de ne pas augmenter le prix des cigarettes en 2024.

Il y a deux ans, Emmanuel Macron affirmait souhaiter l’avènement de « la première génération sans tabac de l’histoire récente » en 2030. Le projet du gouvernement, fin août dernier, d’augmenter le prix du paquet de cigarettes paraissait donc cohérent. Celui-ci devait passer à 12 euros dès 2024 contre 11,50 euros maximum actuellement, après une première hausse en mai. Mais dimanche, la Première ministre Élisabeth Borne, tout en se disant « très vigilante » sur le tabagisme, a déclaré sur RTL que le gouvernement « ne prévoit pas d’augmenter le prix du tabac l’an prochain ».

Un nouveau plan de lutte contre le tabagisme doit être annoncé « prochainement », a ajouté la locataire de Matignon, qui veut également interdire les cigarettes électroniques jetables « puffs » « qui donnent des mauvaises habitudes aux jeunes ».

Le professeur Amine Benyamina, président de la Fédération française d’addictologie et chef du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital Paul-Brousse, s’insurge contre cette volte-face. Il insiste sur le rôle essentiel de la fiscalité pour réduire le nombre de fumeurs et surtout de nouveaux consommateurs.

Le Point : Regrettez-vous la décision du gouvernement de ne pas augmenter la fiscalité sur le tabac ?

Amine Benyamina : Oui, je la regrette énormément. Le gouvernement a peut-être voulu faire faire des économies aux plus précaires. Mais la fiscalité du tabac n’est pas qu’un moyen d’engranger des recettes pour l’État. C’est surtout un outil de santé publique qui a pour but de faire baisser le nombre de fumeurs. Par ailleurs, les économies seraient bien plus importantes pour les fumeurs s’ils arrêtaient le tabac. Elles le seraient même pour tous les contribuables. Le coût direct et indirect du tabac pour la France était de 156 milliards d’euros en 2019, selon un rapport publié cet été par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives. Pour l’alcool, ce coût était de 102 milliards d’euros.

Quel est l’impact d’une augmentation de la fiscalité du tabac sur la consommation ?

L’augmentation du prix du tabac par la taxation a un effet quasi arithmétique sur le nombre de nouveaux consommateurs, notamment chez les jeunes. Il dissuade également ceux susceptibles de commencer à fumer. C’est l’un des rares leviers, si ce n’est le seul, à avoir un effet aussi marqué. Une hausse de 20 % du prix du tabac, c’est une baisse de 10 % du nombre de consommateurs. L’effet sur les fumeurs de longue date est moins marqué, mais il existe aussi.

Quel est le mécanisme à l’œuvre ?

Il y a deux mécanismes. Un effet revenu : le prix devient trop cher et donc je ne peux plus me permettre d’acheter un paquet de cigarettes. Également, un effet psychologique : un prix élevé me signale la singularité de ce produit, et la volonté du gouvernement de m’en détourner. Mais il y a deux conditions pour que ces mécanismes fonctionnent : l’augmentation du prix doit être très significative, et elle doit être répétée année après année. Sinon, les gens arrêtent de fumer temporairement, puis finissent par s’habituer à un prix plus élevé et retournent vers le tabac. Il faut que le prix augmente chaque année pour garder hors du tabagisme ceux qui en sont sortis, et en faire sortir de nouvelles personnes.

Doit-on craindre une augmentation de la consommation dans les années à venir ?

Nous avons assisté à un recul important de la consommation de tabac en France pendant plusieurs années. Puis elle est repartie à la hausse depuis la crise sanitaire, en partie parce que nous n’avons pas mis en place d’augmentation suffisante des taxes. En partie aussi parce que la politique de prévention actuelle ne porte pas auprès des couches les plus défavorisées. Si nous ne mettons pas en place une vraie politique de hausse de la fiscalité, une stratégie de prévention efficace et une harmonisation des prix à l’échelle européenne, nous n’arriverons pas à l’enrayer.

Contrairement à ce qu’on croit souvent, la « puff » sélectionne de nouveaux consommateurs

Vous abordez le sujet de la prévention. Comment faire pour que le discours porte davantage ?

Les photos effrayantes sur les paquets ne suffisent pas. Il faut amener davantage de personnes addicts au tabac à consulter un médecin. On ne peut pas décider d’un plan antitabac sans y avoir intégré ce volet.

Est-il incohérent d’interdire les « puffs » et d’annoncer dans le même temps que la fiscalité du tabac n’augmentera pas ?

Il n’est pas impossible que cela dirige vers la cigarette classique des personnes qui avaient l’habitude de la « puff ». Contrairement à ce qu’on croit souvent, la « puff » sélectionne de nouveaux consommateurs. C’est donc évidemment une bonne nouvelle que le gouvernement veuille l’interdire. Mais il est dommage que cela se fasse sans augmenter aussi les taxes sur le tabac.

Source: lepoint.fr


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